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Par MINERVIEWS
1 mars · 7 mn à lire
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REVENDIQUER L'ÉGALITÉ DES GENRES, QUELLES VOIES EMPRUNTER ?

Manifestations, collages, revendications via les réseaux sociaux, actions chocs ; les façons de se mobiliser et de faire entendre la parole des femmes se multiplient. Mais pourquoi n’est-elle toujours pas considérée à sa juste valeur ?

Une multitude de mouvements, une cause commune : l’égalité des genres

 Photo de Markus SPISKE sur UnsplashPhoto de Markus SPISKE sur Unsplash

Seize ans après le mouvement Me Too, lancé par la militante Tarana Burke, puis devenu viral en 2017 en tant qu’hashtag (#MeToo) grâce au tweet d’Alissa Milano, les victimes de violences sexuelles sont encouragées à parler et les mouvements féministes sont de plus en plus mobilisés. Aujourd'hui le mouvement résonne à l'échelle mondiale, et particulièrement en Europe. En Grèce, Sofia Bekatorou, championne de voile, développe le mouvement dans son pays avec la création de la plateforme menowmetoo.gr,. Et elle n’est pas un cas isolé. « Le moment est venu pour les femmes à travers le monde d’unir leurs voix afin de se battre pour l’égalité des genres, l’inclusivité et une société plus juste. » exprime Sofia. En effet, la mobilisation des femmes en Europe semble avoir pris un tournant net au XXIème siècle. À Lyon, Alice, étudiante, est militante féministe dans son pays d’origine, l’Italie. Elle est activiste pour le mouvement national Non Una Di Meno qui « prépare les plus grandes manifestations » dans le pays, comme celle du 25 novembre, lors de la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes. Ce mouvement, comme ses semblables européens, reflète une mobilisation nouvelle ; le féminisme, nous dit-elle, « c’est un thème beaucoup plus présent dans l’espace public, ce n’était pas un thème proche des femmes en Italie ». 

Cependant, les mobilisations représentent-elles toujours une preuve d’inclusivité ? Alice rappelle que pouvoir se battre pour ses idées reste un privilège : « Il y a des femmes qui ne peuvent pas manifester. C’est un privilège d’être militant.e. C’est toujours des étudiant.e.s plus ou moins cultivé.e.s ». Au-delà des classes sociales, la zone géographique est aussi déterminante de l’engagement de la population. Rome est une capitale ; il y a donc forcément plus d’idées divergentes que dans une ville étudiante comme Lyon, pense-t-elle. Elsa, vice-présidente du mouvement de Nous Toutes Lyon 2 observe le même phénomène « je vois la différence : dans mon village les gens ne sont pas mobilisés, alors qu'à Lyon ils le sont davantage. ».

Post Instagram publié sur le compte de Nous Toutes Lyon 2Post Instagram publié sur le compte de Nous Toutes Lyon 2

En Espagne, un mouvement à l’échelle nationale, « Comision 8M » a été mis en place pour favoriser l’union des engagements féministes. Il rassemble les Assemblées féministes des villes les plus importantes du pays qui, ensemble, organisent des marches d’une grande ampleur. Toutefois, celle du 8 mars 2022 a été marquée par des divisions au sein de la revendication. Le projet de la « ley trans » et son objectif de développer les droits et l'inclusivité des personnes LGTBI a causé nombre d’oppositions au sein du mouvement pourtant initialement uni. Pour la première fois, deux marches distinctes ont été organisées à la même heure.

Ainsi, l’inclusivité et l’union des voix des mobilisations féministes souhaitées par Sofia Bekatorou reste un processus en développement. L’essor visible des mouvements féministes en Europe pourrait laisser présager une évolution positive vers l’égalité des genres. 

Décrédibilisation de la voix des femmes : médias, politique et réseaux sociaux

En examinant le paysage juridique de l’Union européenne, on constate que de nombreuses initiatives portant sur l’égalité de genre ont été mises en place : l’Institut européen pour l’égalité entre les hommes et les femmes (EIGE) qui a été fondé en 2010, ou encore l’article 2 du Traité sur l’Union européenne qui décrit explicitement que l’Union est « fondée sur les valeurs de respect de […] l’égalité entre les femmes et les hommes ». Mais cet idéal égalitaire ne reste que théorique. En effet, le Global Media Monitoring Project (GMMP), une étude mettant en lumière les inégalités de genre dans les médias du monde entier depuis 1995, a révélé que seulement 24 % des experts interrogés dans les actualités étaient des femmes. Et selon la même étude, la différence entre la réalité et la présence dans les médias est visible : « 27% des spécialistes de la santé sollicités dans les reportages sur le coronavirus sont des femmes, alors que, d’après les statistiques, 46% des femmes travaillent dans la santé à l’échelle mondiale ».

Le témoignage d’Alice, étudiante féministe engagée à Lyon 2, nous confirme cette pauvre place laissée aux femmes. Même si des femmes arrivent à des postes de pouvoir, elles ne défendent pas toujours les droits des femmes. Ainsi, Alice souligne que Giorgia Meloni, l’actuelle Présidente du Conseil des ministres d'Italie, ne se considère pas comme féministe : « elle ne veut pas se faire appeler “la présidente”, mais “le président” ». Quoi qu’il en soit, les femmes sont très souvent critiquées en politique, au-delà de leurs idées. C’est ce que la chercheuse Marlène Coulomb-Gully analyse : « Disqualifier la voix des femmes, c’est mettre cette dernière hors-jeu parce qu’elle est une femme et lui signifier que parce qu’elle en est une, elle n’a pas sa place dans cet espace de parole ». Cette analyse s’est affirmée le 6 avril 2021. Lors d’une rencontre avec le président turc, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, s’est vue obligée de s’asseoir sur un canapé à l’écart car aucune chaise n’avait été prévue pour elle. Certaines femmes politiques ont tout de même réussi à être reconnues pour leur travail, tout en assumant leur combat féministe ; la reine Maxima des Pays-Bas affirmait en 2017 : « Moi, je souhaite que les femmes soient libres de faire ce qu’elles veulent, qu’elles soient heureuses et fières de ce qu’elles sont. Si c’est être féministe de dire ça, alors je suis féministe ». La parole des femmes en politique ne cesse d’être dénigrée mais, malgré tout, certaines arrivent à briser les limites qu’on tente de leur imposer.

Le mouvement #Metoo a mis en avant la capacité des réseaux sociaux à faire circuler des opinions et revendications plus rapidement que jamais. Malgré cette libération de la parole, la décrédibilisation des femmes reste présente. Certaines femmes se sont par exemple vues rejetées par leur entourage en raison de leurs idées militantes. Si les réseaux sociaux semblent représenter le berceau de la libre expression, ils le sont également pour les discours de haine. Une enquête d’Amnesty International de 2017 montre que dans huit pays à travers le monde, 23% des femmes auraient déjà été victimes de harcèlement sur Internet. Les algorithmes de suggestion ont d’ailleurs un impact sur la visibilité des causes féministes. L’invisibilisation de certains comptes par Instagram, appelée shadow ban, en empêche la diffusion. Certaines publications féministes sont même considérées comme des « publications sensibles ». Des créateur.trice.s de contenu en font une nouvelle lutte, telle que Laura Stomboni du compte MyDearVagina pour qui la publication d’images de vulves est un acte militant. La vice-présidente de l’association Nous Toutes Lyon 2 affirme que les réseaux sociaux sont des portes d’entrée et de partage, car les messages « se diffusent assez rapidement et que plus de gens les reçoivent ». Mais ce mode de diffusion comporte des risques, notamment celui d’une mauvaise interprétation en raison de la brièveté des messages : « On ne peut pas tout raconter avec un Tweet. ».

 Photo d'un collage de l'association Nous Toutes (Pauline ROYER)Photo d'un collage de l'association Nous Toutes (Pauline ROYER)

La cause féministe d’aujourd’hui, bien que de plus en plus soutenue, se trouve malgré tout impactée par la diversité d’opinions dans l’espace public et les nombreux processus de décrédibilisation.

L'efficacité revendicatrice de l’extrémisme

Avez-vous déjà essayé de vous faire entendre alors qu’on vous empêchait de parler ? La réaction naturelle serait d’élever la voix. Ainsi, l’extrémisme ne deviendrait-il pas nécessaire au combat des femmes ? Mais alors, comment le définir ? Les suffragettes anglaises ont par exemple été qualifiées comme telles alors que leur combat permet aujourd’hui aux femmes d’aller voter. Nous pouvons dire que son utilisation semble délicate et nécessite d’être contextualisée. Face à des violences inouïes comme le sont les féminicides, se montrer seins nus est-il réellement un comportement extrémiste ? L’extrémisme résiderait donc non pas dans le combat, mais plutôt dans les actions, posant la question de son utilité pour être écoutées.

Les interventions des Femen, collectif féministe fondé en Ukraine en 2008, qui apparaissent régulièrement seins nus en public, peuvent en être l’exemple. Leurs actions dénonçant les droits bafoués des femmes dans de nombreux pays sont souvent jugées outrageantes, et entraînent même des poursuites en justice pour exhibition sexuelle. La loi ne prévoit cependant pas ce qu’est une partie sexuelle et si elle diffère entre les hommes et les femmes. Là est tout le propos des Femen : constamment sexualisé, le corps des femmes est ici un support de contestation politique, un « étendard ». Cette idée est soutenue par l’un de leurs slogans : « L’obscénité est dans vos yeux ! ». Selon le collectif, l’offense est un outil afin de bousculer les mentalités, il s’agit de provoquer pour s’assurer une certaine médiatisation. Malgré les avis divergents, se montrer « extrémiste » permet d’attirer l’attention : les Femen bénéficient par exemple de nombreux temps de parole sur Radio France, leur permettant de faire entendre leurs voix.

Manifestation du collectif Femen à Paris (Joseph PARIS)Manifestation du collectif Femen à Paris (Joseph PARIS)

Parmi les mouvements considérés comme extrêmes se trouve également la misandrie. Ce terme polémique est de plus en plus introduit dans l’espace public. Cet antonyme de la misogynie est très souvent perçu comme contre-productif, puisque vu comme incitatif à la haine. Décriée par certains hommes mais revendiquée comme riposte par certaines féministes, la misandrie pose question. L’autrice Pauline Harmange, dans son essai Moi les hommes, je les déteste, explique cette prise de position au regard de l’oppression systémique subie quotidiennement par les femmes. Ici, c’est le gouvernement français qui a participé au débat quand un membre du ministère de l’égalité femmes-hommes a tenté de faire retirer l’ouvrage de la vente. La misandrie est à coup sûr efficace pour provoquer la controverse. Pour autant, elle peine à faire porter le message féministe souhaité, en raison des nombreuses réactions réfractaires indignées par le terme de misandre.

Il est impossible de parler d’un féminisme au singulier, mais une cause leur est commune : la reconnaissance des droits des femmes ; à ne pas confondre avec la domination de ces dernières sur les hommes. L’objet de la lutte féministe est l’abolition du patriarcat, un obstacle autant pour les femmes que pour les hommes, sur de nombreux aspects, imposant une forte pression sociale. Ce fléau étant plus qu’ancré dans nos sociétés européennes, son combat nécessite des moyens à la hauteur de son impact.

En tant que femmes du 21ème siècle et étudiantes en SHS, les inégalités de genre nous sont devenues familières. Nous nous devons de continuer le combat entamé par nos aînées. Les avancées en matière de droits des femmes se sont en grande partie faites dans la rue, à nous de nous en inspirer en utilisant les nouveaux outils à notre disposition pour briser les barrières qui nous sépare encore de l’égalité des sexes. Le combat n’est pas fini. Pour notre génération et les prochaines. Plus on partage, plus on en parle et plus on peut porter les voix loin.

Par Eda Üner, Louna Pinchinot, Justine Eyraud, Axelle Béclair, Sarah Denise, Pauline Royer.


Pour aller plus loin sur notre dossier du mois consacré aux droits des femmes, consultez les articles de nos rubriques Culture et Relations Internationales sur notre blog.

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Cette Newsletter a été réalisé grâce à l’aide de l’université Lyon II et de la région Auvergne-Rhône-Alpes.