L’Alsace, annexée à deux reprises par l’Allemagne puis redevenue française, incarne une forme de complexité mémorielle. À travers ses monuments, elle illustre une mémoire oscillante entre deux héritages en conflit, tandis que l’Allemagne a développé un travail de mémoire centré sur la reconnaissance des erreurs passées.
L’Alsace a connu la domination allemande de 1871 à 1918. L’appartenance au Reich allemand pendant la Première Guerre mondiale a profondément bouleversé la mémoire régionale. Les « Malgré-Nous », soldats alsaciens combattant au profit de l’Allemagne durant la Seconde Guerre mondiale occupe une place singulière dans l’histoire régionale.
L’Alsace a ainsi oscillé entre attachement à la nation française et reconnaissance d’un héritage allemand. Cette dualité transparaît dans différents lieux de mémoire alsaciens. Le lieu de mémoire majeur présent en Alsace est le Struthof à Natzwiller, seul camp de concentration nazi situé sur le territoire français. Aujourd’hui, il abrite le Centre Européen du Résistant Déporté, qui propose l’exposition “Contre la barbarie : s'engager, résister, combattre”. Permettant un retour à l’histoire, l'exposition se termine par “l’évocation de la construction européenne”, afin de conscientiser la nécessité de la préservation de la paix.
Le mémorial d’Alsace-Moselle à Schirmeck met en lumière les tensions subies par l’Alsace entre la France et l’Allemagne, avec l’enjeu du changement de nationalité notamment. Il transcrit la complexité de l’identité alsacienne accentuée par la réconciliation franco-allemande. Ces politiques mémorielles visent à intégrer l’histoire de l’Alsace dans le récit national français tout en reconnaissant son passé allemand. En 2022, la Collectivité Européenne d’Alsace a adopté de nouvelles orientations mémorielles, articulées autour de trois axes : collecter et sauvegarder la mémoire alsacienne, la faire rayonner, et encourager un engagement citoyen dans la transmission du passé.
L’Allemagne est un pays confronté à son passé nazi reconnait à travers ces politiques les erreurs passées et sensibilise les générations futures. En ce sens, le Mémorial de l’Holocauste à Berlin conçu par l’architecte Peter Eisenman, est une œuvre imposante qui interpelle le visiteur sur l’ampleur de la Shoah. En 2024, le Bundestag a adopté une résolution visant à protéger les communautés juives, promouvant une culture de mémoire active.
Face à ce passé complexe, la coopération franco-allemande a favorisé des initiatives mémorielles communes. Le projet "Archivum Rhenanum", réseau transfrontalier d’archives numérisées, permet un accès public aux ressources historiques alsaciennes et allemandes, favorisant une meilleure compréhension de leur histoire commune. Les musées et expositions jouent également un rôle central dans cette mémoire partagée.
L’Alsace et l’Allemagne incarnent deux approches distinctes mais complémentaires du travail de mémoire. L’Alsace, tiraillée entre deux appartenances, met en avant son histoire mouvementée pour interroger son identité, tandis que l’Allemagne poursuit un travail introspectif conscientisant son passé. À travers monuments et expositions, ces politiques mémorielles visent à construire une identité culturelle enrichie, fondée sur la transmission et la réconciliation. Cette mémoire commune montre que l’histoire n’est pas figée : elle se réécrit et se réinterprète en fonction des générations et des contextes politiques. L’enjeu actuel est de continuer à faire vivre cette mémoire, non pas comme un poids, mais comme un socle permettant de construire une culture commune tournée vers l’avenir.
Par Éléanor Merle
Pour aller plus loin sur notre dossier du mois consacré à la politique de mémoire, consultez les articles de nos rubriques Relations internationales et Société sur notre blog.
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