LE MANQUE D'ACCÈS À L'INFORMATION SUR LA CONTRACEPTION ET LA SEXUALITÉ DANS LES MILIEUX DÉFAVORISÉS : ENJEUX DE SANTÉ PUBLIQUE ET INÉGALITÉS

Les inégalités sociales influent sur l’accès à l’éducation sexuelle et sur la contraception. Les variations dépendent du statut socio-économique, du niveau d’éducation, de l’âge, du lieu de résidence - milieu urbain ou rural - ainsi que du parcours migratoire effectué ou non.

MINERVIEWS
4 min ⋅ 01/12/2025

Si des disparités sociales existent entre les pays du Sud et les pays du Nord quant à l’accès à l'éducation sexuelle, elles sont également observables au sein même de la France. Moins de 15% des élèves bénéficient de séances d’éducation sexuelle à l’école ainsi que moins de 20 % au collège, selon les données de l’Inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche. En France, cette difficulté découle d’un manque de moyens et d’une pénurie d’enseignants malgré la création d’un programme lié à l’éducation sexuelle pour la rentrée 2025.

En Angleterre, l’éducation aux relations et à la sexualité (Relationship and Sex Education, RSE) est aussi obligatoire dans les écoles. Pourtant, des inégalités subsistent particulièrement dans les milieux socialement et économiquement défavorisés. Une étude publiée en 2024 auprès d’adolescents âgés de 12 ou 13 ans montre que certains groupes d’élèves plus précaires rapportent une couverture RSE plus faible - du fait de leur situation sociale défavorisée -, amenant à une connaissance plus limitée des services de santé sexuelle.

Du côté des enseignants, plusieurs études de l’Université de Leicester montrent un manque de formation, de ressources, et même un malaise face à des sujets tels que la pornographie, ce qui complique la mise en place d’un enseignement complet, particulièrement dans des écoles où l’éducation à la sexualité n’est pas considérée comme prioritaire, notamment dans les zones urbaines sensibles.

Les coûts sociaux d’une éducation sexuelle lacunaire

Dans de nombreuses cultures, le poids des normes traditionnelles pèsent : la question de l’éducation sexuelle est taboue car elle serait responsable d'une activité sexuelle précoce et à risque. Ces préjugés sont réfutables : les programmes qui ne prônent que l’abstinence n’ont pas fait preuve d’efficacité pour prévenir les grossesses précoces ni les violences sexuelles. La Roumanie fait partie de l’un des pays européens ou l’éducation sexuelle est facultative : il est nécessaire d’obtenir l’accord des parents avant qu’elle ne soit enseignée ce qui limite fortement son application. Or, la Roumanie enregistre un taux d’adolescentes enceintes les plus élevées d’Europe.

En France, l’étude de Nathalie Bajos et Michèle Ferrand (2004) montre que les femmes issues de milieux socio-économiques défavorisés ont un recours moins régulier aux contraceptifs modernes, ce qui donne lieu à des grossesses non désirées plus fréquentes et des retards dans la prise en charge des infections sexuellement transmissibles. Les femmes vivant dans un ménage à moins de 560€ par mois choisissent la pilule de 1re/2e génération à 68%, contre 32% seulement pour la pilule de 3e génération. Ces écarts sont alimentés par une relation distante aux institutions médicales souvent vécues comme peu accueillantes également.

La contraception, de paire avec l’éducation sexuelle, redéfinit les rapports sociaux hétérosexuels, puisque ceux-ci s’inscrivent dans une organisation hiérarchique ou la sexualité féminine a longtemps été contrôlée par les hommes. La reprise en main des contraceptifs par les femmes permet le passage d’un modèle du « destin maternel » à un modèle plus souple tripartite, que sont la maternité, l'épanouissement sexuel et l'investissement professionnel.

Santé sexuelle : un gouffre entre la loi et les pratiques

En Italie, les principales inégalités liées à la santé sexuelle portent sur l’avortement et l’accès à la contraception.  L’accès à l’IVG est légal depuis mai 1978. Or, si la loi garantit un droit à la « procréation consciente et responsable », elle établit également une règle qui garantit au personnel soignant de faire recours à l’objection de conscience, c’est-à-dire de refuser de pratiquer un avortement. En 2020, près de 65% des gynécologues déclarent avoir recours à ce droit, que ce soit en raison de croyances religieuses ou personnelles. De fait, en 2021, l’IVG n’était accessible que dans 6% des structures médicales. Une inégalité territoriale apparaît, avec des régions où il se révèle presque inaccessible, comme le Molise, où un seul médecin accepte de réaliser l’intervention. Ainsi, ce texte donne une illusion que chacun puisse disposer librement de son corps, tandis que dans la pratique il renforce une inégalité entre les femmes des différentes régions italiennes, puisque la fracture Nord-Sud du pays apparaît désormais jusque dans l’accès à la santé sexuelle.

La contraception est légale depuis 1971, mais relativement peu répandue, puisqu’en 2023, seulement 2.5 millions de personnes utilisaient la pilule. Selon la gynécologue Marina Toschi, ce chiffre est dû au manque d’éducation à la santé sexuelle dans l’enseignement italien, qui se poursuit jusque dans le supérieur: « On peut faire cinq ans d'études spécialisées en gynécologie sans savoir comment poser un stérilet, comment donner des conseils appropriés en matière de contraception ou même savoir à quoi ressemble une pilule abortive. »

Des acteurs pourtant externes au secteur médical qui influencent la santé publique

De fait, l’influence de la religion catholique s’étend également aux sujets relatifs à la santé sexuelle. Par exemple en 2018, le pape François compare le recours à l’avortement au recours à un « tueur à gages ».

La question est souvent reprise par les partis d’extrême droite, comme Fratelli d’Italia, hostiles à la pratique. Ainsi, Giorgia Meloni promulgue un amendement en 2024 permettant aux associations d’entrer dans les centres de conseils, lieux de passage obligés pour avorter en Italie. Les militants pro-life peuvent donc  militer au sein même des lieux de soins.

De nombreux scandales sont nés de l’opposition au droit à l’avortement, comme celui des « cimetières à fœtus» mettant en scène de fausses sépulture de fœtus avortés.

Une opposition se forme également contre la promotion de la contraception, en mettant en avant une politique nataliste, comme la sénatrice du parti de Giorgia Meloni Lavinia Mennuni appelant l’Agence Italienne des Médicaments (AIFA) a se recentrer sur le soutien à la natalité et aux familles.

Une contre-lutte organisée

Néanmoins, une contre-lutte, qui dénonce cette hostilité à l’avortement, s’est formée, à travers des associations telles que l’AIED. Au sein de ses structures sont regroupés des gynécologues qui pratiquent l’avortement, ou encore qui promeuvent l’éducation affective à l’école, dans un pays où un projet de loi vise à interdire les cours d’éducation sexuelle.

De façon générale, les mesures en faveur de la santé sexuelle sont permises par des organes indépendants des institutions traditionnelles, comme la gratuité de la pilule contraceptive, permise en 2023 par l’AIFA, organisme indépendant du ministère de la Santé. Selon Giovanna Scroccaro, membre de l’AIFA, cette mesure coûterait 140 millions d’euros à l’État, mais permettrait un meilleur accès à la contraception, à laquelle beaucoup renoncent en raison d’un prix trop élevé.

Ce cas montre que, dans un pays où les droits humains sont menacés, le mille-feuille administratif peut être bénéfique pour la garantie d’un semblant d’égalité.

Le manque d’accès à l’information sur la contraception et à une éducation sexuelle complète est un enjeu individuel, révélateur des inégalités sociales, territoriales et de genre. C’est à la condition d’une éducation sexuelle pour toutes et tous, que la santé sexuelle pourrait devenir un droit partagé et équitable, et non un privilège dépendant du lieu de vie, des ressources ou des croyances de quelques groupes humains.

Par Farah El Bahoua et Lou Labat-Plazy


Pour aller plus loin sur notre dossier du mois consacré à la sexualité et à la contraception, consultez les articles de nos rubriques Relations internationales et Culture sur notre blog.

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