FABRICATION DU DÉSIR EN EUROPE : QUAND LA CULTURE MODÈLE CE QUI ATTIRE

Nous pensons désirer librement. Pourtant, où que l’on regarde, les mêmes silhouettes s’imposent, les mêmes esthétiques circulent, les mêmes fantasmes reviennent. Aimons-nous vraiment ce que l’on voit ou avons-nous appris à l’aimer ?

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3 min ⋅ 01/12/2025

Pour tenter de répondre à cette question, il faudrait probablement remonter aux origines de l’être humain. Darwin puis Symons ou Buss décrivent certaines préférences anciennes : symétrie (indice de santé), jeunesse féminine (fertilité), carrure masculine (protection), peau lisse (absence de maladie) ou ratio taille-hanches.

Ces critères primitifs se lisent déjà dans les œuvres européennes antiques. Les statues grecques puis romaines idéalisent un corps symétrique, sain et jeune. Aphrodite incarne la fertilité, Apollon la force et l’harmonie, la Vénus de Milo une jeunesse à la fois charnelle et pure. Ces canons reflètent peu les corps réels de l’époque : comme l’a montré Linda Nochlin, ils sont créés par des artistes hommes pour des commanditaires hommes, dans un cadre où le regard masculin décide déjà particulièrement de ce qui mérite d’être représenté. 

La Renaissance reprend et amplifie ces codes : la Vénus de Boticelli concentre jeunesse, proportions idéales et pureté lumineuse. À l’inverse, au XVIIᵉ siècle, Rubens célèbre des corps généreux et des hanches larges. Le XIXᵉ siècle marque un tournant : la bourgeoisie impose une minceur moralement valorisée, associée à la maîtrise de soi et à la respectabilité. Il reste que ce sont encore des institutions artistiques masculines qui définissent les critères de la beauté « admissible ».

XXe siècle : le cinéma, maître du désir

Au XXᵉ siècle, le cinéma arrive et amplifie ce pouvoir. Mulvey théorise le male gaze : un regard façonné par et pour des hommes, qui décide comment cadrer, éclairer, désirer. On fabrique des silhouettes devenues modèles : Brigitte Bardot, jeunesse blonde et sensuelle, Alain Delon, symétrie et virilité froide, Monica Bellucci méditerranéenne et sensuelle. Leur désirabilité n’est pas juste naturelle mais construite par un appareil culturel qui choisit ce qui circule et reste dans la mémoire collective.

La culture populaire suit la même logique : des figures d’abord atypiques deviennent canons dès lors que le public les adopte. Bourdieu explique ce mécanisme : une esthétique ne devient norme que lorsqu’elle est socialement validée. Laetitia Casta, par exemple, a d’abord été critiquée pour son « retour aux formes » avant de devenir un modèle national. De même, Sophie Marceau ou Penélope Cruz circulent parce qu’elles répondent à une narration qui plaît à l’imaginaire européen : fragilité, sensualité et élégance.

Wolf montre que la beauté peut devenir outil de contrôle et Butler rappelle qu’on « apprend » à être désirable dans un langage visuel déjà établi. Hakim décrit la désirabilité comme un capital social. Kaufmann montre comment elle s’intègre et se rejoue dans le quotidien : le regard et la mise en scène de soi intériorisés depuis l’enfance.

Aujourd’hui : la culture continue de dicter nos désirs

Aujourd’hui, et puisque la culture ne se limite plus à quelques supports, médias, séries, mode, plateformes prolongent ce système. Les algorithmes, analysés par Cardon, relaient ce qui suscite réaction et ce qui est montré devient désirable, l’habitude créant un sentiment de connaissance et sécurité et alors, souvent, une certaine attirance. Les figures contemporaines comme Adèle Exarchopoulos, Marion Cotillard, Zendaya ou Sabrina Carpenter s’inscrivent dans cette continuité : leur « différence » n’est intégrée que quand elle reste compatible avec les critères hérités, notamment la jeunesse ou l’harmonie du corps. 

En Europe, le désir naît donc d’un double mouvement : ce que la culture propose, et ce que nous validons par nos imitations, nos rejets ou nos fascinations. 

De l’Antiquité à nos jours, des canons artistiques aux figures médiatiques contemporaines, la liberté de choix face à la beauté est largement encadrée par des normes historiques et sociales. Ainsi, la liberté de choix du désir face à la culture semble limitée. Alors peut-on sortir du cadre culturel ou en changer la forme ? Y échapper ou simplement en comprendre le fonctionnement ? 

Par Manon D.-H.


Pour aller plus loin sur notre dossier du mois consacré à la sexualité et à la contraception, consultez les articles de nos rubriques société et relations internationales sur notre blog.

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