LE FLÉAU DE LA CORRUPTION ANCRÉ AU CŒUR DE L'EUROPE ?

Alors que l’Union européenne se veut être un modèle, notamment en termes d’État de droit et de gouvernance éthique, la corruption mine ses institutions et affaiblit la confiance des citoyens.

MINERVIEWS
4 min ⋅ 02/06/2025

« La corruption est une menace mondiale en constante évolution qui ne se limite pas à saper le développement – elle est une cause majeure du déclin de la démocratie, de l’instabilité et des violations des droits humains » selon François Valérian, président de Transparency International dans un rapport établi en 2024. 

De nombreux pays européens présentent des lacunes majeures dans la prévention, la détection et la sanction des pratiques corruptives, dans ce récent rapport de Transparency International. Ce fléau est souvent perçu comme l’apanage de régimes autoritaires, s'infiltrant dans les démocraties, fragilisant les institutions et ralentissant le progrès social, économique et climatique.

L’Europe, en particulier les pays membres de l’Union européenne, affiche la meilleure moyenne mondiale dans la perception de la lutte contre la corruption dans le dernier classement mondial de Transparency International publié le 11 février 2025. Toutefois, les disparités persistent entre les États membres et plusieurs d’entre eux enregistrent même un recul dans l’indice de perception de la corruption. Les pays du sud et de l’est de l’Europe sont classés parmi les plus touchés par le fléau de la corruption : avec des scores de 41/100 pour Budapest et 43/100 pour Sofia, la Hongrie et la Bulgarie se placent respectivement aux 82e et 76e rangs du classement mondial. 

Transparency International souligne qu’une corruption systémique et un affaiblissement progressif de l’État de droit sont observés tout au long des 15 années au pouvoir du Premier ministre Viktor Orbán. La Commisson européenne avance que « la liberté d’expression des juges reste sous pression », et que le gouvernement hongrois n’a pas de « résultats solides dans les enquêtes pour corruption concernant des hauts responsables et leur entourage ». Budapest rejette les accusations de corruption impliquant Antal Rogán, directeur de cabinet du chef du gouvernement et proche collaborateur d'Orbán, accusé de corruption dans l’attribution de marchés publics.

Ce refus de reconnaissance des faits symbolise la situation critique hongroise en terme de lutte contre la corruption. Daniel Freund, eurodéputé écologiste, ajoute que « l’État de droit en Hongrie reste épouvantable, malgré des sanctions financières de plusieurs dizaines de milliards [d’euros] ».

Par ailleurs, la Hongrie, la Bulgarie, la Roumanie et Malte affichent les scores les plus faibles de la région. La Slovaquie, quant à elle, recule dans la lutte contre la corruption depuis l'arrivée à la tête de l'exécutif slovaque Robert Fico.

Des réformes « sapent les contrôles anticorruption et contournent la consultation publique » selon Transparency International. Visant à raccourcir le délai de prescription, ces réformes  sont celles du Code pénal, adoptées depuis 2024, fragilisent ainsi les sanctions pour corruption tout en levant certaines peines. L’ONG anticorruption Nadácia Zastavme Korupciu affirme que la réforme juridique du code pénal a profité à plus de 1300 criminels et accusés confondus, et pousse à favoriser « l’impunité dans certaines affaires de haut niveau ». En réponse, à Bratislava, retentissent des manifestations d’envergure rassemblant plus de 100 000 personnes, pour contester les dérives antidémocratiques du gouvernement.

Un soulèvement étudiant contre la corruption en Serbie

Le cas de la Serbie a récemment marqué le paysage politique européen, avec un mouvement étudiant — toujours en cours. Tout a commencé le 1er novembre 2024, lorsque la gare récemment rénovée de Novi Sad, la deuxième plus grande ville du pays, s’est effondrée, causant la mort de 16 personnes.

Cet événement tragique, symbole des défaillances de l’État, a ravivé une colère longtemps contenue. Malgré une corruption systémique depuis plusieurs années — la Serbie occupant la 105e place sur 180 dans le classement de Transparency International — la réaction du gouvernement, marquée par un déni de responsabilité et la rétention de documents clés, a déclenché une vague d’indignation chez les jeunes. Les étudiants ont alors pris la tête d’une mobilisation inédite contre la corruption.

Face à la pression croissante de la rue, le Premier ministre Milos Vucevic a présenté sa démission le 28 janvier 2025. Toutefois, le président Aleksandar Vucic, au pouvoir depuis 2017 et chef du Parti progressiste serbe (SNS, conservateur) est resté en poste. Régulièrement comparé à Viktor Orbán pour ses dérives autoritaires, il a rejeté toute idée de transition politique, allant jusqu’à accuser les manifestants de tentative de coup d’État.

Le mouvement s’est amplifié au fil des semaines. Le 15 mars 2025, une manifestation massive a rassemblé entre 107 000 personnes selon les autorités et 325 000 selon un organisme indépendant à Belgrade. Porté par un rapprochement entre étudiants, enseignants, avocats, artistes et agriculteurs, ce rassemblement marque un tournant majeur dans l’histoire politique récente de la Serbie, un mouvement qui se poursuit encore dans l’attente de justice et de véritables réformes.

Une lutte anticorruption fragilisée en Roumanie

Membre de l'Union européenne depuis 2007, la Roumanie est également au cœur des tensions politiques qui secouent actuellement les Balkans. Ce pays, dont la position géostratégique est majeure étant frontalier à l’Ukraine, a connu récemment une vague de manifestations à l’occasion de l’élection présidentielle, dans un climat politique tendu.

Bien que la Roumanie ait déjà été le théâtre de plusieurs mouvements populaires contre la corruption, notamment en 2015 et 2017, la contestation actuelle est d’une nature différente : elle est alimentée par des accusations de manipulation du scrutin présidentiel. Cette situation a ravivé la défiance envers les institutions et relancé la mobilisation citoyenne.

Plus précisément, c’est Călin Georgescu, candidat pro-russe, qui était arrivé en tête du premier tour de l’élection présidentielle roumaine prévue pour novembre 2024. Surnommé le « Messie TikTok » pour sa campagne largement menée sur les réseaux sociaux, il avait su capter l’attention d’une partie de la jeunesse roumaine grâce à un discours populiste et à des contenus viraux. Son score de 23 % avait surpris les observateurs.

Cependant, avant même le second tour, des accusations de manipulation électorale, d’ingérences étrangères et d’irrégularités massives ont été soulevées. Face à l’ampleur des soupçons, la Cour constitutionnelle roumaine a annulé les élections, provoquant une onde de choc dans le pays. Cette décision a entraîné une série de manifestations dans plusieurs grandes villes, notamment à Bucarest et Cluj, où les citoyens ont dénoncé à la fois les tentatives de fraude et la fragilité des institutions démocratiques.

         Comme le souligne Transparency International, « aujourd'hui, certains gouvernements vont plus loin, sapant ou politisant les cadres de lutte contre la corruption et permettant l'érosion de l'État de droit ». Parfois le fléau de la corruption est nié par les membres du gouvernement qui en sont les instigateurs, bien que les faits démontrent le contraire. Ce déni rend le combat périlleux et renforce l’impunité juridique. Qu’il s’agisse de dénoncer les injustices, de manifester ou de s’impliquer dans la vie publique, les jeunes d’aujourd’hui portent une responsabilité majeure dans la construction d’un avenir plus juste, transparent et solidaire — pour l’Europe, mais aussi pour le monde entier.

Par Farah El Bahoua et Marianthi Dimou


Pour aller plus loin sur notre dossier du mois consacré à la corruption, consultez les articles de nos rubriques Relations internationales et Société sur notre blog.

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