Face à la privatisation du marché de l’art, l’art de rue s’impose comme une nouvelle manière d’y prendre part. Mais représente-t-il pour autant un réel rejet de ce marché ?
Apparu au début du XVIe siècle, le marché de l’art détient aujourd’hui une place importante dans le monde. Différents acteurs tels que des artistes, collectionneurs et musées y participent, générant des sommes élevées chaque année. En 2024, le marché de l’art a engendré près de 9 milliards de dollars mais il est aujourd’hui très critiqué par de nombreuses personnes. D’abord du fait de son aspect commercial mais aussi du fait de son « inaccessibilité ». En effet le marché de l’art semble être devenu pour certains un « monde à part ». C’est ce que semble expliquer Léa Saint-Raymond, maîtresse de conférences en histoire de l’art, dans son ouvrage intitulé « Ce n'est pas de l'art mais du commerce ! ». D’autres perçoivent le marché de l’art comme un univers réservé à quelques privilégiés. Ils dénoncent la barrière entre la société et l’accès au marché de l’art, conséquence directe de sa privatisation. Certains regrettent de ne pas pouvoir accéder à des œuvres désormais destinées à une « élite financière ».
Face à cette critique, de nouvelles formes d’art sont propulsées sur la scène artistique. C’est le cas du street art, mouvement né dans les années 1960, il s’inspire du muralisme mexicain. Ce mouvement artistique s’est développé au XXe siècle avec Diego Rivera. Suite à la révolution mexicaine en 1910, le muralisme mexicain prétend utiliser l’art à travers de grandes fresques réalisées dans des lieux publics pour expliquer l’histoire et la culture du pays à tous ses habitants (notamment ceux analphabètes).
Suite à cela, cette démarche pour faire passer des messages par l’art au « grand public » persiste. C’est une forme de démocratisation de l’art. Par exemple, en Espagne, dans les années 90 le street art rentre dans la culture artistique de Barcelone à l’occasion des JO de 1992. À cette époque, il était possible de peindre librement dans les rues, sans craindre une amende. De nombreux artistes ont commencé leur carrière dans cette ville catalane, y créant des œuvres majeures, comme El Pez. Dans le quartier de Raval, ce street art a connu un véritable essor porté par les révoltes prolétaires.
En parallèle, toujours dans les années 90, le londonien Banksy rentre dans cette démarche pour faire passer des messages forts. Ses œuvres sont des images humoristiques souvent accompagnées de slogans porteurs de messages anticapitalistes, antimilitaristes ou antisystème. Sa volonté reste simple : partager l’art avec tout le monde en le rendant public. C’est le cas par exemple de son œuvre Flower Throwen (lanceur de fleurs) réalisé au pochoir sur le mur qui sépare Israël de la Palestine, prônant la paix. Mais la pièce maitresse de sa volonté artistique reste La petite fille au ballon rouge. En octobre 2018, une reproduction de cette œuvre est mise en vente à Londres. Mais au moment d’être adjugée pour plus d’un million d’euros aux enchères, l’artiste britannique déclenche un mécanisme d’autodestruction qui déchiquette l’œuvre. Geste radical, véritable stratégie anti-marché. À travers cette performance, il dénonce la logique du marché de l’art, où les œuvres n’appartiennent qu’à ceux qui peuvent se les offrir. Le street art s’impose comme une manière de défier l’art jugé « trop commercial ».
Toutefois, face à son ampleur, le marché de l’art commence à s’intéresser au street art. C’est notamment le cas de certaines galeries d’art, comme l’explique la galeriste Magda Danyz « c’est un mouvement de fond (l’art de rue) confronté à un effet de marché. Le danger serait que ça devienne un effet de mode ». De ce fait, les galeristes manifestent un intérêt croissant pour ce courant, malgré les critiques : « Certaines pratiques sont décriées, tant par les artistes que par les galeristes entre eux. Le risque de bulle n’est pas à exclure », ajoute-t-elle.
Ce transfert de l’art de rue vers les galeries est visible par exemple chez l’artiste Pez. Évoqué auparavant, cet artiste connu d’abord dans les rues de Barcelone durant les JO de 1992, se fait reconnaitre dans le monde entier par ses poissons « heureux ». Du fait de son succès, il commence à exposer dans des galeries, participer à des ventes aux enchères et collaborer avec des marques. Son travail devient alors « commercial » et rentre dans le marché de l’art. Cette trajectoire qui semble la plus courante s’oppose à celle d’artistes qui critiquent le marché de l’art comme Banksy.
Toutefois, Pez continue à mêler l’art plus formel dans les galeries et son art public. Il cherche toujours à garder un lien fort avec le public ainsi que l’idée de diffuser de « bonnes vibrations ».
Ainsi, le street art oscille entre appropriation et contournement du marché de l’art, visant avant tout la visibilité et le partage, tout en bousculant les logiques traditionnelles de l’économie artistique européenne.
Par Maïssane Bertrand-Bouchet
Pour aller plus loin sur notre dossier du mois consacré au marché de l’art, consultez les articles de nos rubriques culture et relations internationales sur notre blog.
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