CULTURE EN OTAGE : QUAND LES SUBVENTIONS DEVIENNENT DES INSTRUMENTS DE POUVOIR

De l’Andalousie à Budapest, les scandales autour des financements culturels se multiplient en Europe : détournements, favoritisme, projets fictifs… La culture, au lieu de soutenir la création, devient parfois un outil de clientélisme ou de contrôle idéologique. Enquête sur une dérive silencieuse aux conséquences démocratiques inquiétantes.

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2 min ⋅ 01/06/2025

En Espagne, l’Andalousie illustre bien les dérives d’une gestion opaque des fonds culturels. Dès les années 2010, des enquêtes ont révélé des détournements dans la distribution des aides européennes, en particulier via le Fonds social européen. Des musées et centres d’interprétation ont été financés sans jamais ouvrir, ou fermés peu après leur inauguration, comme à Almería. Ces dérives révélaient un réseau d’influences locales où les aides culturelles servaient de levier politique. Le Tribunal des comptes a souligné l’absence de suivi des projets et des critères d’attribution jugés trop flous.

En Italie, Naples a vu émerger des logiques similaires. Des événements culturels comme des festivals ou des restaurations patrimoniales ont été abondamment financés, mais souvent sans résultats tangibles. L’exemple du Forum universel des cultures de Naples en 2013 est emblématique : événement pharaonique censé promouvoir la diversité culturelle, il s’est transformé en fiasco budgétaire. Plus de 20 millions d’euros ont été dépensés, dont une grande partie pour des consultants, de la communication, ou des installations abandonnées. Selon plusieurs rapports journalistiques italiens, la mafia locale a profité de ces montages pour blanchir de l’argent, s’insérant dans la chaîne d’attribution des marchés publics liés à la culture. Ici encore, l'opacité dans les appels à projets et l'absence d'audit ont favorisé le détournement des objectifs culturels.

Mais le cas le plus systémique reste sans doute celui de la Hongrie. Depuis son arrivée au pouvoir en 2010, Viktor Orbán a entrepris une transformation profonde de la politique culturelle nationale, en cohérence avec son projet de « démocratie illibérale ». L’État hongrois a placé les principales institutions culturelles sous le contrôle d’organismes proches du parti au pouvoir. Des directeurs d’institutions critiques ont été remplacés par des personnalités loyales, souvent sans compétence artistique. En 2020, une réforme a retiré aux collectivités locales le pouvoir de nommer les directeurs de théâtre, centralisant le processus sous contrôle ministériel. Par ailleurs, une partie des subventions publiques est désormais allouée via des fondations d’État présidées par des alliés du Fidesz. Cette stratégie vise clairement à imposer une vision idéologique conservatrice de la culture, notamment à travers des expositions sur le passé monarchique ou des films valorisant une vision univoque de l'identité hongroise. Les artistes indépendants, eux, peinent à survivre sans financements, poussés à s’autocensurer ou à s’exiler.

La captation des subventions culturelles au service d’agendas politiques transforme l’art en outil de fidélisation ou de propagande. Loin de promouvoir la diversité et le débat, les financements culturels, dans ces contextes, contribuent à la normalisation des idées dominantes. On assiste alors à une standardisation des contenus, une fragilisation des voix critiques, et une perte de confiance dans les institutions artistiques, perçues comme partisanes.

Face à cette tendance, plusieurs propositions émergent : évaluer les projets via des comités indépendants, renforcer la transparence des dépenses et garantir une séparation claire entre pouvoir politique et décisions artistiques. L’Union européenne, bien qu’impliquée dans le financement, peine à imposer des garde-fous contraignants.

La culture, pilier de la vie démocratique, doit rester un espace libre et pluraliste. Pour cela, ses mécanismes de financement doivent être repensés afin de servir l’intérêt général et la création, non les intérêts d’un camp.

Par Elvire Bernard-Evin


Pour aller plus loin sur notre dossier du mois consacré à la corruption, consultez les articles de nos rubriques société et culture sur notre blog.

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