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Par MINERVIEWS
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SANTÉ POUR TOUSTES ?

Depuis 1985, l’évènement Octobre Rose sensibilise le monde au dépistage du cancer du sein. Une belle initiative masquant cependant un mépris global pour la santé des femmes[1]. La sensibilisation est nécessaire, certes, mais qu’en est-il des actions concrètes pour l’égalité d’accès à la santé ?

PAS ASSEZ ÉCOUTÉES

Un problème de santé touchant 190 millions de personnes mais relégué au second plan par la médecine, invraisemblable non ? Pourtant, l’endométriose existe et confirme cet affligeant constat. À défaut de bénéficier d’un accompagnement médical, les femmes doivent se renseigner par elles-mêmes, et la libération de la parole sur les cycles menstruels est leur meilleure alliée. Sur TikTok par exemple, la créatrice de contenu @justanothergirlwithendo montre en toute transparence ce qu’est l’endométriose. Ce manque cruel de connaissances sur le sujet est pour ainsi dire alarmant. La sororité permet certes d’y pallier, mais de façon limitée.

Des initiatives fleurissent alors en Europe pour mieux traiter la maladie, comme l'Institut Franco-Européen Multidisciplinaire d’Endométriose. Une prise en charge saluée par les patientes : Viviane l’a raconté à Libération. Mais un problème persiste : personne ne peut expliquer la cause de l’endométriose. Enfin, presque… En juin 2023, les docteurs Ayako Muraoka et Yutaka Kondo ont testé l’hypothèse de la bactérie. Simple, efficace et pourtant encore jamais explorée, voilà qu’ils découvrent la présence récurrente d’unFusobacterium chez les patient.es atteint.es. Cette nouvelle bouscule alors la façon de traiter l’endométriose : et si un antibiotique pouvait suffire ? Dérisoire comme situation, on vous l’accorde.

Si l’endométriose met à mal le monde médical, les serviettes hygiéniques, elles, sont le reflet d’un rejet total du sujet de la santé des femmes : on ne cherche pas à en comprendre le fonctionnement. En 2018, Nana a été la première marque à réaliser un spot publicitaire avec la vraie couleur du sang et non plus un ridicule fluide bleu. En laboratoire aussi, un autre liquide que du sang est utilisé pour tester les protections hygiéniques : de l’eau. En 2023 a donc eu lieu le premier test avec du sang, et le résultat est sans appel : aucune protection hygiénique n’est adaptée.

UNE MALADIE ASEXUÉE ?

Au-delà du mépris évident envers les questions de santé des femmes, les sujets de santé publique communs à toustes ne dérogent pas à la règle : les femmes sont toujours moins considérées que les hommes.

Inégalités de prévention, sous-estimation des symptômes, retards de diagnostic. Voici comment se caractérise le traitement des maladies cardiovasculaires chez les femmes, pourtant première cause mondiale de mortalité pour elles. Il faut se rendre à l'évidence : les femmes manquent à l'appel dans les recherches médicales, réalisées par des hommes, sur des hommes, pour des hommes. Et cela dans un souci de gain de temps et d’argent : moins de chance de fausser les résultats avec des individus sans variations hormonales. Il est nécessaire de dissocier la recherche en fonction du sexe, puisqu’il a été démontré qu’un lien existe entre les risques d’accident cardiovasculaire (AVC) et les hormones féminines. Les symptômes se révèlent également plus atypiques chez les femmes, qui, par manque de prévention, y prêtent moins attention. Enfin,l’évolution des modes de vie, avec la charge mentale qui l’accompagne, semblent également avoir eu un impact sur l’apparition plus récurrente de ces maladies chez les femmes.

La moitié de la population a donc plus de chances que l’autre de mourir d’un AVC, pourtant, cette même moitié n’est pas considérée dans les recherches à ce sujet.

CONTRACEPTION : VERS UNE CHARGE PARTAGÉE ?

« L’égalité femmes-hommes ne sera réelle en matière de santé sexuelle que lorsque les hommes prendront leur part en matière de contraception. » À travers cet appel paru dans Libération en août 2022, la volonté des signataires était d’attirer l’attention des pouvoirs publics français sur ce tabou national. La responsabilité de la contraception revient presque toujours aux femmes, malgré la fertilité quasi permanente des hommes.

Cela peut s’expliquer par le manque d’alternatives étudiées et proposées. Cependant, quelques avancées sont notables. En effet, en Espagne, le recours à des contraceptions masculines est trois fois plus fréquent qu’en France. Sans parler des pays anglo-saxons, dans lesquels la vasectomie est bien plus pratiquée. Cette opération ne doit plus simplement être considérée comme un moyen de stérilisation irréversible. En effet, il existe des opérations de reconstruction, ou bien la possibilité de congeler son sperme. La généralisation de ce dispositif permettrait de répartir la charge.

Un autre argument majeur est celui de la crainte des effets indésirables sur le corps et les désirs des hommes, effets secondaires pourtant similaires à ceux subis par les femmes. Pour d’autres, le blocage vient aussi de la soi-disant atteinte à l’image de « l’homme viril ». De quoi questionner les priorités de certains.

UNE EUROPE DÉSORGANISÉE

En Europe, une prise de conscience semble se dessiner. L’Espagne devient en 2023 le premier pays européen à adopter une loi concernant les congés menstruels, reconnaissant la douleur endurée par les femmes. L’Allemagne, elle, souhaite développer la médecine de genre, que la Dr Vera Regitz-Zagrosek soutient : « La médecine de genre n'est pas une médecine de femmes, c'est plutôt une médecine personnalisée ». Le but étant d’intégrer le genre dans la recherche afin de lutter contre les inégalités et erreurs de diagnostic. Dans certains pays, les interventions locales sont plus présentes que les actions gouvernementales. Une ONG néerlandaise a reçu le Prix européen de la Santé pour son projet d’optimisation des campagnes de vaccination préventive des cancers cervicaux chez les femmes.

Cette sensibilisation reste très hétérogène quant à son déploiement sur le territoire européen. Au contraire, certains pays d'Europe reculent plutôt concernant la santé des femmes. Les femmes italiennes, ayant acquis le droit à l’avortement en 1978, voient ce droit quotidiennement bafoué, mettant leur santé en péril. Cette hétérogénéité est rendue d’autant plus visible par des études comparatives faites sur le continent, par exemple en ce qui concerne le taux de mammographie en Europe. Si la moyenne des femmes de 50-69 ans ayant fait une mammographie est de 66% au niveau de l’UE, les chiffres précis sont très disparates : d’uncôté, des pays comme la Suède avoisinent les 95% et de l’autre, la Roumanie n’atteint même pas les 10%.

Malgré des directives européennes comme le Plan Européen pour vaincre le cancer de 2021, aucune norme à l’échelle du continent ne semble acter l’importance de cibler la santé des femmes, puisque minimisée depuis des siècles. Ce manque d’harmonie laisse donc s’installer des inégalités grandissantes. L’espoir de les réduire semble pour l’instant être centré autour des actions civiques et de la sensibilisation sur les réseaux sociaux. Parmi les projets de l’Institut EuroHealth, dédié uniquement à la santé des femmes, se trouve la création d’un groupe d’intérêt dans le Parlement Européen, mais ce n’est encore qu’un projet.

Le droit à la santé est intrinsèquement lié au droit à la vie, fondement des droits humains. Cette atteinte aux droits fondamentaux des femmes traduit la considération globale des pays à leur égard, bien qu’elles représentent plus de la moitié de leur population. Pour pallier cela, des initiatives locales ou nationales se multiplient, mais elles se tournent essentiellement vers la santé reproductive des femmes. Pour garantir un accès à la santé exhaustif, il faut s’intéresser à tous ses aspects : de la santé mentale à la protection des violences conjugales. Il est donc grand temps que l’Europe se réveille.

[1]Pour plus de clarté, et au vu de notre thématique mensuelle sur la santé, l’utilisation du terme “femme” se réfère à sa définition biologique.

Par Justine Eyraud, Sarah Denise, Eda Üner, Louna Pinchinot, Axelle Béclair et Pauline Royer


Pour aller plus loin sur notre dossier du mois consacré à la santé, consultez les articles de nos rubriques Relations internationales et Culture sur notre blog.

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