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Par MINERVIEWS
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COMMENT PARLER DES ÉVÈNEMENTS INTERNATIONAUX MEURTRIERS ?

La présentation des faits impliquant des décès n’est jamais anodine dans l’espace médiatique : le but recherché est souvent de faire appel au pathos, à l’émotion de l’audimat. Le nombre de morts peut paraître une donnée objective, mais son utilisation éditoriale ne l’est pas nécessairement.

Attention, cet article a été rédigé avant l’attaque du Hamas envers Israël et ne prend donc pas en compte les récentes évolutions du conflit.

Différence de traitement entre faits divers et faits de guerre

La plupart des médias sont très friands de faits divers. Pourquoi ? Parce que le public en raffole. En tout cas, c’est ce que considèrent certain.e.s journalistes. La surexposition de ces « faits divers » - qui se concentrent principalement sur le meurtre d’une personne – laisse penser que ces crimes sont en augmentation, alors que la réalité est autre. L’intérêt journalistique est donc discutable. Si les médias sont férus de meurtres, pourquoi parlent-ils moins des morts dans les pays en guerre ? Cela s’explique par la « loi du mort kilométrique » : un décès nous affecte davantage s’il a lieu proche de nous.

Quand le nombre de morts dans les conflits est incertain

L’omission, ou du moins la non-évocation du nombre de victimes d’un conflit armé par les médias peut être problématique. Dans les conflits internationaux, le nombre de morts est souvent biaisé par les belligérants. Ce manque de transparence rend le travail des journalistes compliqué : faut-il communiquer le nombre affirmé par les autorités et prendre le risque de diffuser une fausse information, ou bien ne pas évoquer de chiffres ? Qui faut-il croire ? Les données peuvent en effet fluctuer entre les différent.e.s interlocuteur.ice.s, qui ont souvent des intérêts à préserver. C’est le cas par exemple pour la guerre en Ukraine, dans laquelle la Russie mène en parallèle une guerre informationnelle : les dégâts infligés à l’ennemi sont souvent exagérés.

Pour autant, avoir connaissance du nombre de morts dans une guerre interétatique est essentiel. Les chiffres permettent de comprendre les rapports de force entre les différents groupes armés, ainsi que de rendre compte de l’ampleur des conséquences. Par exemple, le fait d’évoquer très rarement le nombre de morts lors du conflit israélo-palestinien empêche le public de saisir le caractère asymétrique de ces affrontements. Le bilan humain israélien en 75ans de conflit est, dans la grande majorité des combats, dérisoire par rapport au bilan humain palestinien.

Les images de cadavres ont-ils leur place dans les médias ?

Lors de la guerre en Ukraine, des images de civils ukrainiens morts dans les rues dévastées ont pu être diffusées – souvent sans floutage - à la télé et dans les journaux, en particulier pour le massacre de Boutcha. Était-il nécessaire de montrer ces images violentes, à une heure de grande écoute, pouvant heurter la sensibilité du public ? Fallait-il filmer, de manière impudique, ces cadavres, et les diffuser en direct sur les chaînes d’informations en continu ? Le choc provoqué ne nuit-il pas à l’analyse et la compréhension des faits, ou bien aide-t-il à faire réagir les opinions publiques occidentales et les dirigeants politiques ? Les images de Boutcha, montrant de nombreux corps inertes jonchant les trottoirs, ont sans doute permis de saisir l’atrocité des crimes commis par les troupes russes. L’effet est comparable à la tristement célèbre image saisissante du cadavre d’enfant syrien échoué en mer Méditerranée et retrouvé sur une plage turque. La principale question demeure de savoir si cette image a réellement entraîné un changement de politique européenne sur le sujet

Le traitement médiatique des morts en période de guerre est un sujet sensible, d’autant plus qu’il peut avoir des répercussions politiques sur les évènements. Les médias sont désormais acteurs des conflits, quand la guerre informationnelle est de plus en plus menée en parallèle des guerres physiques.

Par Antonin Verdot


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Pour aller plus loin sur notre dossier du mois consacré à la mort, consultez les articles de nos rubriques Culture et Société sur notre blog.

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