Le mécénat culturel permet aux entreprises ou individus fortunés de participer à l’effort collectif de sauvegarde du bien commun. Cette générosité peut devenir un outil de communication au service d’intérêts privés, s’éloignant de sa vocation première. On parle alors d’« artwashing » (1), une instrumentalisation de l’art à des fins d’image.
Lorsque le mécénat devient un moyen pour des acteurs controversés de se racheter une légitimité sociale, le lien entre culture et éthique se tend dangereusement. De nombreuses entreprises ont recours à l’art pour embellir leur image, en finançant musées et expositions. Mais que se passe-t-il lorsque ces bienfaiteurs sont eux-mêmes impliqués dans des scandales majeurs ? C’est ce que révèle le cas de la famille Sackler, au cœur de la crise des opioïdes aux États-Unis. Cette dynastie, propriétaire de Purdue Pharma, est accusée d’avoir joué un rôle central dans la banalisation de l’OxyContin, un antidouleur à fort potentiel addictif, finançant des institutions prestigieuses comme le Metropolitan Museum of Art à New York ou le musée du Louvre à Paris. Ce dernier a d’ailleurs été contraint de retirer leur nom de ses galeries en 2019, sous la pression du collectif P.A.I.N., mené par l’artiste Nan Goldin.
Cette logique se retrouve dans d’autres secteurs, où certaines multinationales utilisent le mécénat culturel comme levier de réputation. En se présentant comme soutiens des arts, elles cherchent à contrebalancer les critiques environnementales dont elles sont l’objet. C’est le cas de British Petroleum, qui a longtemps sponsorisé le British Museum, malgré son implication dans de nombreuses pollutions majeures. Cette alliance a suscité une contestation croissante, poussant des institutions comme la Tate ou le Royal Shakespeare Company à cesser toute collaboration avec la compagnie pétrolière. En France, TotalEnergies a été plusieurs fois épinglée pour son soutien financier à des événements artistiques, notamment au musée du Quai Branly. Alors que ses projets pétroliers en Ouganda ou en Amazonie font l’objet d’importantes controverses, ce mécénat peut être perçu comme une stratégie de greenwashing culturel, visant à neutraliser la critique en s’adossant à des symboles positifs comme la culture.
Dans ce contexte, plusieurs institutions culturelles européennes entament une réflexion sur les limites acceptables du mécénat. La question posée est celle de l’indépendance des musées face à leurs financeurs : jusqu’où peuvent-ils tolérer que des entreprises aux pratiques contestées conditionnent leur soutien à une visibilité favorable ? Dans certains pays comme les Pays-Bas, les musées ont pris des décisions fortes. Le Van Gogh Museum et le Mauritshuis ont par exemple mis un terme à leur partenariat avec Shell en 2018, en réponse à la pression des associations écologistes et du public. Cette dynamique s’inscrit dans un mouvement plus large d’éthique culturelle. Les institutions réclament désormais des mécènes une réelle intention éthique, faute de quoi elles n’acceptent plus, en principe, les dons, comme le souligne Paul Springer : « À l'heure actuelle, les valeurs ont plus de poids que l'argent ». Ce qui est en jeu, ce n’est pas seulement la beauté des œuvres ou la sauvegarde du patrimoine : c’est la confiance que le public accorde aux institutions censées incarner une forme d’intérêt général.
Le mécénat peut devenir une forme déguisée de corruption lorsqu’il est utilisé pour obtenir des avantages en échange d’un soutien financier. Certaines entreprises financent des projets publics ou culturels dans le but d’influencer des décisions politiques. Ce mélange d’intérêt général et d’intérêt privé brouille les limites entre don désintéressé et manipulation.
(1) https://www.ft.com/content/479cb6b2-a0af-11e8-85da-eeb7a9ce36e4
Par Éléanor Merle
Pour aller plus loin sur notre dossier du mois consacré à la corruption, consultez les articles de nos rubriques Relations internationales et Société sur notre blog.
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